mardi 16 février 2010

Cette page de l’histoire commencée avec les premières vagues de réfugiés au début de la guerre civile - les premiers soulèvements militaires au Maroc et en Espagne débutent le 17 et 18 juillet 1939- a trop souvent été ignorée, voire même oubliée en France comme en Espagne. L’existence des camps de regroupement reste encore très peu connue. A la Libération, en 1945, les baraquements des camps ont été démontés et très vite jetés aux oubliettes. Mais pour ceux qui y ont vécu, leur présence ne cessera de les hanter. Francisco Caudet affirme que l’exil représente, après la peine de mort, « la plus terrible condamnation » . L’oubli forme ce que l’on peut appeler le second exil . Les artistes républicains ont donc dû se battre pour survivre non seulement à l’oubli de leur personne comme individu, mais aussi comme artiste.

Au lendemain de la victoire des nationalistes sur les républicains, la France ne trouve d’autre solution que de construire des camps de regroupement au sud de la France pour gérer l’afflux massif et spontané de milliers de réfugiés. Ces hommes, ces femmes et ces enfants sont donc restés des jours, des mois, des années, dans ces camps considérés comme provisoires par les autorités françaises. Parmi eux se trouvent des étudiants, des professeurs, des instituteurs mais aussi des artistes qui mettent sur pied des activités artistiques et sportives. Aussi surprenant que cela puisse paraître, il y a bien eu des activités artistiques dans ces « camps du mépris ».

La question de l’exil soulève le problème de la définition des termes employés. Tous les mots utilisés ont leur histoire propre. Leurs significations n’ont cessé de changer au cours du temps et pour certains, on se bataille encore pour en déterminer le sens exact.

Pourquoi avoir préféré le terme « expressions plastiques » à celui d’« art »?
Toutes les productions réalisées dans ces camps n’ont pas été exécutées que par des artistes. Beaucoup de personnes, des amateurs mais aussi des novices, se sont lancées dans la création d’objets, dans la participation à des journaux, l’organisation de conférences et d’expositions. Mais au-delà de ces quelques créations, peut-on définir la production des artistes comme de l’art ? Peut-on considérer ces dessins et peintures exécutés dans un contexte aussi particulier que peut représenter un camp de regroupement comme de l’art ? Est-ce que l’art trouve ici une de ses limites ?

Qu’est-ce que « l’exil républicain »?
Il est intéressant de comparer la différence de point de vue adoptée entre l’Espagne et la France dans la définition de l’exil à travers le dictionnaire. Une nuance est à noter dans la démarche volontaire ou involontaire à l’origine de cet acte. En Espagne, la définition du terme qui s’y rapporte décrit ce phénomène comme le fait d’abandonner un pays ou un endroit où l’on vit de sa propre volonté ou forcé pour des raisons politiques, économiques… . En France, la définition proposée est l’expulsion de quelqu’un hors de sa patrie .
L’exil républicain reste un choix pris par des milliers de soldats et civils conscients que leurs vies étaient menacées en Espagne. La particularité de cet exil est que dans l’histoire espagnole, aucun mouvement humain ne fut si soudain et si massif.
Une nuance peut être apportée entre les termes exil républicain et exil antifranquiste car leur confusion est fréquente. José Luis Abellán marque une différence entre l’ « émigration de la guerre » renvoyant à l’exil républicain et l’émigration antifranquiste. Le premier phénomène correspond à toutes les personnes qui décidèrent de quitter le pays pour des raisons politiques, durant le conflit de 1936-1939 et le second renvoie à toutes les personnes qui s’en allèrent après 1939. Cependant, il reste beaucoup de nuances et d’exceptions puisque les départs de tous les réfugiés issus de l’exil républicain furent motivés par des raisons politiques .
L’exil républicain peut aussi se différencier des exils antérieurs par son prolongement. Pour un grand nombre de réfugiés, il dura le temps de la dictature de Franco, à savoir quarante ans. Pour d’autres, installés en France, il dura toute la vie. Ces derniers sont donc passés d’un statut de réfugié à celui d’immigré ou bien à celui de français. Mais ils gardent toujours en eux le sentiment d’être exilés. L’immigré, selon Geneviève Dreyfus Armand, est celui qui se rend volontairement dans un pays étranger en vue de s’y installer plus ou moins durablement et d’y trouver un travail .
Il existe aussi un autre exil, souvent ignoré et qui concerne en particulier les artistes, les écrivains, les cinéastes, … en somme, toute personne pouvant s’exprimer. Ces personnes sont réduites au silence sous peine d’être emprisonnées, battues et même abattues dans leur propre pays. Il fut, selon beaucoup, l’exil le plus difficile à vivre.
Quant au statut de « réfugiés politiques de l’exil républicain espagnol », il a été attribué en 1945 par la France, en reconnaissance de leur engagement dans la lutte antifasciste et pour leur soutien dans la résistance française.
La mémoire collective de ces réfugiés aborde l’exil d’une autre façon. Etre exilé républicain, comme le souligne P.Laborie et J.-Amalric dans le chapitre liminaire de l’exil républicain espagnol de Toulouse, « c’est obligatoirement, avoir lutté les armes à la main contre le fascisme quand les autres cédaient, (…), avoir été vaincu non par l’ennemi, mais par l’indifférence ou la lâcheté coupable des démocraties, avoir subi les souffrances et les humiliations de l’exil dans un pays que l’on croyait ami, (…) . Le terme de républicain a été choisi afin de définir toutes ces personnes qui se sont battues contre les franquistes. Mais la plupart de ces réfugiés étaient communistes, marxistes, anarchistes.

Quelles différences entre les deux termes : camp de regroupement et camp de concentration ?
Un des autres termes essentiels à définir est celui de « camp de concentration ». Il est à employer avec précaution car il peut renvoyer à une autre réalité, celle des camps nazis, et prendre ainsi une charge historique autre. Il faut donc inscrire ces camps dans l’histoire de l’exil républicain et il est préférable d’utiliser le terme de camp de regroupement ou d’internement, afin d’éviter toute ambiguïté possible. Comme le rappelle Pierre Vilar dans la présentation de l’ouvrage Plages d’exil : « (…) Les mots ont une histoire. Auschwitz ou Mauthausen ont donné à ceux de camps de concentration une charge telle qu’il faut en faire un emploi prudent. » . Les conditions de détention, bien qu’elles aient été inhumaines pour ces réfugiés, ne sont pas comparables avec celles des camps nazis. Il ne faut cependant pas perdre de vue que certains camps pour exilés espagnols, tels que celui de Gurs, ont été des succursales des chambres à gaz nazies.

Ce travail de mémoire a débuté par le questionnement de l’existence d’un art concentrationnaire dans les camps de réfugiés. Plusieurs chemins sont donc apparus mais leurs imbrications ont conduit à la décision d’aborder le sujet sous plusieurs angles de vue afin de ne pas réduire ou fausser le sens même de la création concentrationnaire. Une série de questions essentielles à la compréhension de l’action de création dans un milieu d’internement est venue se greffer à la problématique première. Il est impossible de comprendre pourquoi ces réfugiés espagnols ont eu le besoin vital de créer si l’on ne connaît pas l’engagement de la culture dans les combats durant la guerre civile ou bien le besoin de réaffirmation de leur identité, sans avoir abordé ce que représente l’Espagne plurielle ou la culture de l’exil. Le cœur du sujet ne s’est pas réduit à l’étude d’une production dans les camps mais s’est élargie à la compréhension du rôle joué par la culture et l’art au sein d’un espace d’internement et de conditions de vie extrêmes. Mais en adoptant cette démarche de travail, il est clair qu’une étude approfondie de chaque aspect de la création dans les camps est impossible. Pour cette raison, dans certains cas, seule une porte a été entrouverte. Il demeure bien des zones d’ombres à éclaircir afin de comprendre comment l’art peut devenir une arme pour la survie.

Cependant, trois grandes entrées se sont donc imposées et elles correspondent à différents points de vue : historique, artistique, psychologique et sociologique. Comme nous venons de le voir, toutes les notions et tous les événements sont imbriqués les uns aux autres. Par conséquent, il a fallu choisir dans quel ordre les aborder et cet ordre peut bien entendu permuter.
La première entrée possible est donc historique. Pour bien comprendre la nécessité vitale de création dans les camps, il est indispensable d’évoquer l’engagement de la culture dans des actions politiques à l’aube de la guerre civile ainsi que durant le conflit. Cette création est devenue un témoignage iconographique de la vie dans les camps que l’on peut envisager soit comme une source historique, soit comme une œuvre artistique. Ces productions demeurent des instruments de la construction identitaire individuelle et collective des artistes mais aussi de tous les réfugiés.

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